DECLARATION LIMINAIRE REP SPIP BASSE NORMANDIE

Déclaration liminaire

Formation REP – 5 février 2015

La CGT trouve intéressante le fait de travailler en équipe sur les REP dans le cadre d’une journée banalisée et ainsi réfléchir à nos missions et méthodes d’intervention. Cependant, nous relevons d’emblée un paradoxe : il s’agit d’une formation dirigée et non d’un groupe de travail. Cette formation laisse donc l’illusion aux agents de pouvoir s’exprimer sur leurs pratiques, et ainsi éviter le fiasco du DAVC, alors que tout est déjà écrit et formaté par la DAP, sous couvert d’une méthode plus que contestable.

Ainsi, face à un discours monolithique, nous nous permettons d’introduire des éléments contradictoires, toujours nécessaire pour un débat constructif. Je précise que nous resterons à cette journée de formation mais soutenons nos collègues d’Angers, sanctionnés seulement pour avoir voulu vous alerter sur leur manque de moyens. Preuve que rien ne change dans notre administration.

J’en reviens à cette journée.

Nous pensons donc que la méthode appliquée de la DAP est critiquable sur la forme et le fond.

● Sur la forme, la déclinaison de 3 articles des REP en méthode de travail est déjà écrite. Nous en prenons pour preuve le projet de Manuel de mise en œuvre de la contrainte pénale qui sera étudiée au prochain CT SPIP. Ce très long guide expose précisément les nouvelles méthodes de travail à l’aulne des REP, seulement vues sous le prisme des principes du What Works, RBR façon Lafortune et consorts. Alors pourquoi faire croire aux agents aujourd’hui qu’ils peuvent réécrire l’application de ces principes ? Nous avons plutôt le sentiment que l’urgence est d’appliquer ses méthodes par le biais de la contrainte pénale avant même d’envisager la réécriture du texte régissant nos missions et nos méthodes de travail. C’est pour le moins problématique…

Autre critique de forme : pourquoi ses 3 articles ? Parce qu’ils permettent à la DAP de décliner les principes déjà évoqués. C’est un choix mais il est contestable. Nous aurions nous bien voulu qu’on évoque par exemple la règle 12 qui prévoit que « les services de probation coopèrent avec d’autres organismes […] pour promouvoir l’insertion sociale des auteurs d’infraction ». C’est un autre choix que n’a surtout pas voulu faire la DAP.

● Sur le fond, le discours de la DAP n’est pas honnête :

quoiqu’elle en dise, d’autres chercheurs à travers le monde proposent d’autres modèles ou mettent l’accent sur les limites du modèle anglo-saxon à la sauce Lafortune. Pour preuve, vous pouvez vous référer aux travaux de la Conférence de Dissensus ou ceux de X. De Larminat (oubliés mais pourtant primés par le prix Gabriel Tarde du Ministère de la Justice !). La sociologie critique a ainsi émis des nombreuses réserves sur les dégâts que peuvent potentiellement causer ces nouvelles méthodes sur l’identité professionnelle des agents, sur la fragmentation contre-productive des tâches et sur le traitement des justiciables (risque d’automaticité). Ces précautions, aujourd’hui, la DAP les ignore.

Surtout, et c’est la critique principale, le modèle issu du système anglo-saxon, n’a pas été contextualisé dans le système français.

  • pas contextualisé dans l’état des services de probation français : la surcharge de travail liée au nombre de prise en charge par agent fait obstacle à une application de la méthode « Lafortune » dans les SPIP. A titre d’exemple, le projet de manuel de mise en oeuvre de la contrainte pénale fait fi de cette situation alors qu’il prévoit une surcharge de travail supplémentaire (rythme plus que soutenu des entretiens, nombre hallucinant de rubriques à explorer, exemple d’un rapport de 5 pages….). La charge de travail n’est pas tenable. Et ce n’est pas le recrutement de 1 000 personnels dans les SPIP (dont 600 CPIP) qui changera la donne. Le nombre de mesure en MO est passé de 132 000 en 2005 à 184 000 en 2012. Et le filet pénal va continuer à s’étendre avec la CP et la LSC. Et ici, la DAP n’évoque jamais le fameux article 29 des REP qui évoque le nombre de dossier qui permet à chaque agent de pouvoir assister la personne suivie.

  • pas contextualisé dans le paysage actuel du système pénal : les textes en vigueur en matière d’application des peines prônent avant tout le contrôle des obligations. Ainsi, les magistrats mandants, et nous sommes bien placés pour le savoir à Caen, ne se préoccupent absolument pas des considérations d’adhésion à la mesure ou d’une planification de suivi. Ils veulent les justificatifs, point. Ce décalage n’est aujourd’hui pas pris en compte aujourd’hui et c’est sur les seuls CPIP qu’on prétend désormais faire peser l’enjeu de la prévention de la récidive.

Enfin, et sans doute la critique principal de la CGT, ce nouveau système vendu par la DAP, exclut de fait tout débat sur l’action des CPIP en matière d’intervention sociale. Ce débat devrait et doit avoir lieu. Si l’on reprend notamment le principe d’adhésion, notre capacité à accompagner la personne dans son insertion sociale conditionne ses capacités d’adhésion au suivi proposé.

En conclusion, nous reconnaissons que le statut quo n’est sans doute pas tenable. Il nous semble à ce titre que l’abondance de moyens en faveur des SPIP doit être plus importante. Moyens humains pour simplement prendre le temps de parler aux condamnés et d’accentuer le travail en partenariat pour une prise en charge globale. Mais aussi moyens financiers conséquents pour créer des placements extérieurs avec des chantiers d’insertion, augmenter les places conventionnés dans les foyers, être à nouveau en mesure d’apporter une réponse ponctuelle aux besoins urgents repérés…

Nous répétons, contrairement à ce dit M. Pottier, que nous faisons déjà des actes professionnels (fiche accueil, rapport diagnostic….), que l’harmonisation des pratiques « élémentaires » de travail sont de la responsabilité de la hiérarchie dans les services, en collaboration avec les agents qui doivent pouvoir régulièrement échanger sur leurs pratiques pour les réajuster si nécessaire. Il ne faut pas que le système préconisé par la DAP constitue une gestion des flux des condamnés et un indicateur de performance des services, ce que nous savons être l’objectif réel des travaux actuels. Nous travaillons avec de l’humain, les agents des terrains doivent conserver leur « créativité » dans la prise en charge, dans un cadre d’intervention rénové. Et la DAP doit entendre et s’enrichir de tous les discours.

J’emprunte la conclusion à X. De Larminat :

« Ce contre quoi il importe de lutter dans le futur, c’est cet esprit de fermeture qui cherche à tout lisser, uniformiser, calibrer, standardiser, et tente de se rassurer via l’édiction de référentiels de bonnes pratiques dont tout indique que leur usage peut s’avérer contreproductif à plus ou moins long terme.

On peut penser au contraire qu’il y aurait beaucoup à gagner à valoriser les capacités d’innovations locales, et à diversifier les profils des juges de l’application des peines et des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, en commençant par modifier le type de concours qui conditionne leur recrutement.

L’indispensable égalité de traitement des justiciables serait alors assuré non par un nivellement par le bas des modalités de prise en charge, mais par l’encouragement et la diffusion des échanges et des débats professionnels et scientifiques.

Cela passe d’un côté par la création d’instances de discussions collectives au sein des SPIP, qui sont des espaces bien souvent inexistants à l’heure actuelle, les traditionnelles réunions de service servant à d’autres fins.

Cela passe également par la reconnaissance de la diversité des recherches et des études, et la capacité permanente des experts à se remettre en question. La force de la science n’est pas d’être infaillible, mais d’être consciente de ses propres limites. En cela comme en toutes choses, l’intelligence ne réside pas dans la certitude, mais dans le doute1 ».

1« La probation en quête d’approbation : du consensus politique à l’aveuglement positiviste », X. De Larminat, extrait des Archives de politique criminelle, n°35, Pedone, Paris, 2013.

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