Budget 2016 Quelles réalités derrière les chiffres ?

Cette semaine, débutent les débats au Parlement concernant le projet de loi de finances 2016. Ce budget confirme encore les choix politiques d’austérité contre lesquels les salariés du public et du privé s’insurgent à l’instar de la mobilisation du 8 octobre.

Qu’en est-il de l’administration pénitentiaire et des services pénitentiaires d’insertion et de probation ? Quelles réalités et perspectives se cachent derrière les chiffres, les choix d’affectation de crédits, les « indicateurs de performance » ? Quelles logiques et conséquences ont-ils sur notre quotidien de travail, sur le sens de nos métiers et sur nos publics ?

Le budget de l’administration pénitentiaire est tout d’abord une aberration en termes de financements publics.

Version imprimable communiqué Budget 2016

Les partenariats publics privés (PPP) qui hypothèquent l’avenir à long terme sont de véritables bombes à retardement pourtant dénoncées à multiples reprises par la Cour des Comptes ou encore par la commission des lois du Sénat. Trois fois plus coûteux qu’un financement public, ces PPP entretiennent des logiques de rentabilité, peu compatibles avec notre vision du service public et font l’objet d’un véritable monopole de géants du BTP (Bouygues, Vinci, Eiffage). Largement critiqués par ceux qui étaient dans l’opposition et qui sont au pouvoir actuellement, ces choix budgétaires contestables sont toujours de mise et rien n’a été véritablement mis en œuvre pour engager de véritables alternatives. Aujourd’hui, sur un peu plus de 190 établissements, 67 sont en PPP ou gestion déléguée et absorbent près des deux tiers des budgets de fonctionnement et le tiers restant est attribué à 137 autres établissements en gestion publique.

La disproportion parle d’elle-même !

Le poids du partenariat avec le privé:
13 prisons en PPP monopolisent à elles seules 169 millions d’euros.
54 prisons en « gestion déléguée » pour un coût de 328,8 millions d’euros.

Surpopulation pénale, manques d’effectifs, conditions de travail déplorables, conditions de détention indignes. Cette litanie est toujours bel et bien notre réalité malgré les affichages politiques. Le changement de paradigme en termes de politique pénale que la CGT appelait de ses vœux est aujourd’hui encore bien loin. La récente réforme pénale n’a pas été au bout de la logique et n’a pas fait à ce jour ses preuves en termes de déflation carcérale.

Les renoncements et les grands écarts idéologiques s’accumulent : création de 3200 nouvelles places de prison, nouveau moratoire sur l’encellulement individuel, aucune dépénalisation en vue, réactions sécuritaires suite aux attentats de janvier, polémiques sur les permissions de sortir…

Faire de la prison l’exception n’est pas un des objectifs du gouvernement, nous l’avons bien compris !

Pourtant lors des présentations du budget 2016 au ministère et à la direction de l’administration pénitentiaire, l’affichage est celui d’une politique d’aménagements de peine « ambitieuse ». En réalité « l’ambition » (si tant est que ce terme soit adapté) est cantonnée aux placements sous surveillance électronique avec 20 M d’euros et un objectif de plus de 13000 placements (soit +360% en huit ans). Ainsi, au 1er janvier 2015, 20,2% de personnes condamnées bénéficiaient d’un aménagement de peine : 15,7% de PSE, 1,7% de placements extérieurs et 2,9% de semi-liberté. Le placement extérieur reste le parent pauvre avec seulement 9 M d’euros. Et la libération conditionnelle qui aurait dû être l’aménagement de peine de référence est absente des objectifs budgétaires. En effet, seuls les aménagements de peine sous écrou sont pris en compte. Du fait de cette particularité statistique qui écarte la libération conditionnelle, aucune « ambition » pour elle donc !

En dehors du bracelet électronique, point de salut ! Là encore, à l’image des PPP, des lobbys économiques et privés sont à l’œuvre. Car oui, le PSE est bel est bien un marché !

L’expansion du bracelet devient de plus en plus une évidence au détriment d’autres alternatives à l’incarcération pourtant bien plus adaptées à nos publics. Les difficultés importantes sur le financement des placements extérieurs et des associations elles-mêmes mettent à mal des partenariats et des projets de réinsertion.

Par ailleurs, les flux intenses des courtes peines à aménager ou le caractère rassurant du bracelet pour certains magistrats font de la surveillance électronique une solution de facilité pourtant bien illusoire. L’augmentation du nombre de PSE n’a pas entraîné une réduction de la population carcérale car elle s’est faite dans un cadre de politiques sécuritaires et d’extension du filet pénal et a davantage touché des publics pour lesquels d’autres solutions auraient plus adaptées.

Sur un plan budgétaire, l’administration pénitentiaire a désormais 3 objectifs :

– favoriser la réinsertion,

– améliorer les conditions de détention des publics et les conditions de travail des personnels

– et enfin renforcer la sécurité des établissements pénitentiaires. Pour chaque objectif des « indicateurs de performance » vont orienter les exigences de l’administration et les obsessions statistiques de nos hiérarchies et ainsi impacter sournoisement nos pratiques, instillant des logiques purement gestionnaires parfois bien loin de projets de service cohérents et construits avec les personnels.

Ainsi, la mesure de l’activité des Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation ne se fait qu’à l’aune du « pourcentage de propositions d’aménagements de peine avec avis favorable du SPIP » et des « délais de convocation des peines mixtes ». Cela est bien réducteur !

Plus décalé encore le fameux indicateur du « pourcentage de personnes condamnées à un SME ayant respecté l’obligation d’indemniser les victimes ». En milieu ouvert, l’obsession de nos chefs à nous faire cocher des cases (indemnise la partie civile : oui – non – partiellement) s’explique par ce type d’objectif déconnecté de la réalité. Pire, ceci a valu des sanctions pécuniaires à des collègues qui avaient l’audace de penser que notre travail ne se résume pas à mettre des personnes dans des cases mais à les accompagner vers une réinsertion.

Les documents budgétaires (le « bleu » dans le jargon de Bercy) annexés au projet de loi de finances 2016 reconnaissent tout de même que « la persistance des difficultés économiques affectant une part importante des personnes condamnées ont été pris en compte et les cibles pour les années à venir ont été revues à la baisse ». Sans blague !

La particularité de ce projet de loi est cette année le plan de lutte anti-terrorisme (PLAT) qui focalise toutes les attentions et dégagent des lignes budgétaires conséquentes sans que cela ne souffre aucun débat. Ces choix financiers grèvent le budget de l’Etat et orientent en partie celui de la Justice sur un versant sécuritaire.

Ainsi, alors que l’expérimentation de Fresnes est largement contestable, les unités dédiées aux personnes détenues radicalisées sont développées ; les questions d’évaluation de la dangerosité et grilles en tous genres sont remises au goût du jour ; les logiques du tout renseignement viennent brouiller les pistes sur les missions de réinsertion des professionnels pénitentiaires…

Ainsi, outre les 253 emplois créés pour les ouvertures de nouveaux établissements, ce sont 172 créations d’emplois (115 surveillants, 5 administratifs, 14 CPIP, 38 pour les binômes de soutien éducateurs / psychologues auxquels s’ajoutent 30 aumôniers) qui sont prévues en 2016 dans le cadre du plan de lutte anti-terrorisme.

Une partie des fonds initialement prévus pour les publics radicalisés (283 personnes en janvier 2015) et pour les fameuses unités les regroupant a été réorientée sur les crédits de réinsertion à hauteur de 7,23 millions d’euros. Ces crédits seront affectés à différents programmes (arrivants, prévention de la récidive, déradicalisation) qui sont d’ores et déjà les vitrines pour lesquelles les hiérarchies se voient astreindre des objectifs, primes à la clé et vont mettre la pression sur les équipes.

Pour les publics, le ministère affiche un objectif de 4 heures d’activité par jour et par détenu.

Or, les crédits consacrés au travail, à l’enseignement des personnes détenues et aux projets de réinsertion milieux ouvert et fermé sont quasiment inchangés par rapport à 2015. Seules les subventions aux associations voient leurs crédits doubler passant de 5,1 millions d’euros à 10,6 millions d’euros.

Cela sera-t-il suffisant pour répondre aux besoins des publics suivis en milieux fermé et ouvert ?

De plus, concernant le travail en prison, la situation de non-droit perdure et l’évolution des droits des travailleurs détenus n’est pas à l’ordre du jour.

S’agissant de la formation professionnelle, le transfert de compétence va s’opérer vers les conseils régionaux. Dans un contexte de réforme territoriale et de rationalisation des coûts à tous crins, on ne peut que s’interroger sur les conséquences d’un tel transfert. Pour la CGT, l’Etat a pris progressivement la décision de se dessaisir de ses compétences en matière de formation professionnelle. Il abandonne les dispositifs spécifiques qu’il pilotait encore par le biais de plans nationaux garantissant un cadre commun de mise en œuvre sur tout le territoire. Le transfert aux régions signe l’abandon d’une de ses missions régaliennes et par conséquent, l’abandon de la garantie de l’égalité d’accès de tous à ces dispositifs. 

Pour assurer le suivi des personnes condamnées et garantir des conditions de travail dignes pour les personnels la question des effectifs est bien-sûr centrale. Nous ne pouvons que reconnaître des efforts en ce sens. Le plan pluriannuel de création de 1000 emplois dans les SPIP se poursuit avec 200 emplois pour 2016. La répartition donnée par l’administration pénitentiaire est plus un ordre d’idée que des chiffres totalement calés.

130 catégorie B : CPIP / ASS, 13 catégorie A : DPIP / Psychologues, 20 personnels administratifs, 13 surveillants.

Malgré ces efforts, les créations d’emploi ne sont pas suffisantes à réduire pour l’heure les charges de travail et le ratio de personnes prises en charge.

Par ailleurs, 100 postes de surveillants ont été créés pour tenter de combler des vacances de postes.

Les recrutements conséquents que ces 725 créations de postes en 2016 pour l’administration pénitentiaire impliquent posent des questions en termes de politique de recrutement, de formations initiale et continue et de conditions d’accueil de ces nouveaux personnels.

En effet, l’administration fait aujourd’hui le constat que le nombre de personnels qui partent de la pénitentiaire est plus important que prévu. Compte tenu des conditions de travail déplorables, du manque de valorisation et de reconnaissance, des charges de travail démentielles et pertes de sens, cela n’a rien d’étonnant ! Davantage de départs à la retraite (699 prévus en 2016) du fait de l’évolution du « vieillissement » de l’ensemble du personnel pénitentiaire. Davantage de démissions, détachements, disponibilités, fins de contrats… soit 1928 ETP au total pour 2016.

La campagne de recrutement lancée par la DAP ne fera pas illusion longtemps. Sans compter qu’elle entretient des stéréotypes assez marqués.

L’Ecole Nationale d’Administration Pénitentiaire sature et la DAP est en quête de solutions allant jusqu’à envisager 3 promotions de surveillants avec une  formation « compactée ». Pour les CPIP nous sommes toujours dans l’attente de la fin de la préaffectation et de l’avancée des chantiers du recrutement et de la formation.

Concernant la formation continue, un centre de formation doit être créé à Fleury-Mérogis qui sera principalement utilisé pour la formation des personnels d’Ile de France. Cependant, les contenus de formation ne sont toujours pas à la hauteur des besoins des personnels et aucun budget n’est fléché. La formation continue reste malheureusement la variable d’ajustement des budgets de directions interrégionales aussi bien pour les offres de formation que pour le paiement des frais de déplacement.

Enfin, l’accueil de ces nouveaux personnels implique des budgets de fonctionnement (locaux, moyens matériels). L’état des services étant déjà bien exsangue, une augmentation de 9% du budget des SPIP avec 24,6 M ne nous paraît pas être à la hauteur des besoins.

 

La CGT revendique :

  • Une politique pénale ambitieuse tournée vers la réinsertion, pour en finir avec l’extension du filet pénal, la justice expéditive, la prison comme peine de référence, les logiques sécuritaires et l’évaluation de la dangerosité
  • Des revalorisations statutaires et salariales (un meilleur statut pour les catégories C, la catégorie B pour les surveillants, la catégorie A type pour les CPIP et ASS, un statut pour les psychologues, la fin du recours aux emplois précaires)
  • Des emplois et moyens à la hauteur des besoins en termes de politiques publiques
  • Des organigrammes pour les services avec un TCCBS
  • Un ratio de prise en charge : 40 personnes suivies par travailleur social
  • Des moyens pour des conditions de travail acceptables
  • Une formation initiale et continue de qualité avec la fin de la pré affectation et des budgets fléchés pour la formation continue

Montreuil, le  15  octobre 2015

Quelques chiffres clés

Budget de la Justice 8 milliards (mds) d’euros
dont 3,409 milliards d’euros pour l’administration pénitentiaire
Dépenses de personnels 2,184 mds d’euros pour 37 823 équivalents temps plein travaillés
Budgets de fonctionnement des établissements pénitentiaires 729 millions (M) d’euros
Budget SPIP 24,6 M d’euros et 6 M d’euros d’autorisations d’engagement pour l’engagement de baux des SPIP
Budget administration centrale 15,27 M d’euros / DISP 21,4 M d’euros
ENAP (recrutement et formation) 26,3 M d’euros
Placement sous surveillance électronique 20 M d’euros
Placement extérieur 9 M d’euros
Subventions aux associations 10,6 M d’euros
Travail des personnes détenues 24,4 M d’euros
Dépenses de réinsertion 10,4 M d’euros
Enseignement 1,1 M d’euros