Le secret professionnel au sein des Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation à l’épreuve des logiques de renseignement

La loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique a été publiée au journal officiel le 1er mars en même temps que les avis de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) et la Commission Nationale de Contrôle des Techniques de Renseignement (CNCTR), la CGT en a fait une lecture très attentive, contrairement à d’autres… Cette loi prévoyant de nombreuses dispositions sur la sécurité publique (usage des armes, création d’une filière privée de sécurité armée, aggravation de la répression des infractions visant les forces de l’ordre, délit de consultation de sites internet terroristes…) contient des modifications législatives qui viennent percuter les logiques d’intervention des Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation. Dans un contexte d’état d’urgence permanent, de frénésie autour du renseignement et lutte contre la radicalisation, de pressions en tous genres pour faire fi du secret professionnel, un arrêt sur images s’impose !

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Secret professionnel et partage d’informations : des principes constitutionnels contournés !

En août 2014, la réforme pénale prévoyait un partage d’informations au sein des conseils départementaux de prévention de la délinquance, des états-majors de sécurité ou des cellules de coordination opérationnelle des forces de sécurité intérieure des zones de sécurité prioritaire qui pouvaient « se voir transmettre par ces mêmes juridictions (application des peines) et ce même service (SPIP) toute information que ceux-ci jugent utile au bon déroulement du suivi et du contrôle de ces personnes». En septembre 2016, le Conseil Constitutionnel censure cette disposition pour atteinte disproportionnée au respect de la vie privée.

 

En 2017, la loi relative à la sécurité publique précise ce partage d’informations et prévoit que ces états majors, cellules de coordination et conseils locaux peuvent se voir transmettre par les services d’application des peines et les SPIP « toute information à caractère personnel liée au comportement de ces personnes en détention et aux modalités d’exécution de leur peine qu’ils jugent utiles au bon déroulement du suivi et du contrôle de celles de ces personnes dont le comportement est susceptible de constituer une menace pour la sécurité et l’ordre publics. » et rajoute que « Toute personne destinataire d’une telle information est tenue au secret professionnel, dans les conditions et sous les peines prévues aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal ». La CNCDH considère que cette réécriture n’est pas de nature « à satisfaire aux exigences constitutionnelles, tant elles renvoient à des considérations très générales. Surtout, la CNCDH considère que la diffusion des appréciations négatives formulées par les services pénitentiaires en détention à l’égard du condamné est de nature à stigmatiser l’intéressé et créer des conditions défavorables à son retour à la collectivité. »

Les jalons de détournements de missions sur fond d’instrumentalisation des peurs : collecte de données individuelles et spécialisation de personnels des SPIP

En réaction aux attentats de 2015, l’administration pénitentiaire avait pour projet de permettre au service du renseignement pénitentiaire un accès au logiciel APPI (utilisé pour les prises en charge de nos publics) et ainsi à une mine d’informations et données personnelles issues d’entretiens dans le cadre d’accompagnements socio-éducatifs. Mais la CNIL veille et n’a pas autorisé ce détournement de fichier ! L’administration pénitentiaire avait également pour projet de créer un réseau de conseillers d’insertion et de probation référents locaux du renseignement au sein de chaque SPIP. Les organisations professionnelles avaient mis leur veto ! Pourtant, les directions des SPIP ont endossé ce rôle sans rechigner !

En août 2016, un cap supplémentaire a été franchi et l’administration pénitentiaire a créé au sein de chaque SPIP en réaction aux événements de Saint Etienne du Rouvray, en dehors de toute concertation, des CPIP spécialisés appelés cette fois « référents radicalisation / terrorisme » et organisé la collecte de renseignements en total mépris du secret professionnel et du mandat pénal qui est notre cadre de travail, par le biais de fiches de signalement. Il s’agit ni plus ni moins de détourner l’interdiction de la CNIL et d’inclure à marche forcée les SPIP dans la communauté du renseignement ! Ni vu ni connu j’t’embrouille !

La surveillance de masse est en marche au mépris des identités professionnelles, du secret professionnel et du respect de la vie privée

En 2015, Christiane Taubira n’avait pas cédé aux sirènes qui voulaient voir le Ministère de la Justice intégrer la communauté du renseignement mais le renseignement pénitentiaire était malgré cela doté de moyens et prérogatives de plus en plus importantes. En 2016 et 2017, les digues de la raison sautent et une succession de lois, décrets et notes font accéder le renseignement pénitentiaire à la communauté du renseignement non seulement pour la lutte contre le terrorisme, la criminalité et la délinquance organisées mais désormais pour la « prévention des évasions, la sécurité et le bon ordre des établissements pénitentiaires » ! Le renseignement pénitentiaire peut ainsi utiliser de nombreuses techniques de recueil de renseignement très intrusives – relevant tout bonnement du premier cercle du renseignement – pour des finalités qui ne sont pas comprises dans celles liées aux intérêts fondamentaux de la Nation et qui recouvrent en réalité les préoccupations quotidiennes au sein d’une prison !
Courant 2016, l’administration pénitentiaire tente d’étendre ses prérogatives de surveillance au titre du renseignement pénitentiaire aux personnes sous main de justice suivies en milieu ouvert et à l’entourage des personnes suivies en milieu fermé et milieu ouvert !
Mais en décembre 2016, l’avis de la CNCTR recommande de réduire le champ du renseignement pénitentiaire aux seules personnes détenues considérant que les personnes suivies en milieu ouvert (y compris les personnes écrouées non hébergées comme les personnes placées sous surveillance électronique) devaient relever d’autres services de renseignement déjà structurés pour effectuer cette mission.
Mais attention par personnes détenues, il faut entendre celles qui sont hébergées mais également lorsqu’elles sont en permission de sortir ou en semi-liberté. Cela veut dire concrètement, que l’administration pourra fixer des balises sous les baskets de personnes semi-libres ou en permission de sortir sous prétexte de finalités très floues et pouvant justifier tout et n’importe quoi. C’est la traque généralisée !

En 2017, le renseignement pénitentiaire peut désormais, et malgré l’avis de la CNCTR, recourir à de multiples techniques de renseignement pour l’ensemble des personnes placées sous main de justice (interception de correspondances par ISMI-catcher, mise sur écoutes et vidéosurveillance, cheval de troie, balise de géolocalisation, logiciel espion…) au titre des finalités de prévention du terrorisme et de la criminalité et de la délinquance organisées. L’utilisation de certaines de ces techniques ne font pas le tri entre les informations captées (co-détenus, familles aux parloirs, médecin, avocat, conseiller d’insertion et de probation).
La CNCDH considère ainsi qu’« aucune garantie n’est assurée au secret professionnel des médecins, des aumôniers, ou des conseillers d’insertion et de probation. La logique sécuritaire dissout toutes les identités professionnelles et les garanties juridiques accordées aux détenus au fil des réformes conduites au cours des deux dernières décennies.La CNCDH considère que, compte tenu de sa portée et de la très nette insuffisance des garanties qu’elle comporte, la collecte de renseignements organisée par les textes de 2017 constitue une surveillance de masse prohibée par l’Union Européenne et la CESDH. »
Le renseignement pénitentiaire en rêvait, le Ministre de la Justice l’a fait !
Montreuil, le 20 avril 2017
Pour aller plus loin: Lire l’avis de la CNCDH qui sera joint au mémorandum qui sera adressé au secrétaire général du Conseil de l’Europe rendant compte des graves régressions enregistrées en France depuis le déclenchement de l’état d’urgence.
Lire l’avis de la CNCTR
Lire la décision du Conseil Constitutionnel du 23 septembre 2016