TRIBUNE « CE QUE JE NE LACHE PAS »

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Suite aux attentats, l’accélération et la torsion des évolutions autour de mon travail de conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation, avec les dispositifs mis en place de lutte contre le terrorisme et la radicalisation m’interrogent de façon toujours plus exacerbée.

Je m’étonne de ce que, malgré les retours des terrains, les mises en gardes des professionnels, ces plans soient menés tambours battants, toujours plus vite et plus loin vers des dérives inquiétantes.

Pourquoi ne pas prendre en compte les questionnements des professionnels lorsqu’ils se demandent si la stigmatisation générée par ces mesures ne risque pas plutôt de renforcer le mal qu’elles prétendent contrer ?

Méconnaissance du travail déjà effectué, sentiment d’impuissance insupportable, hyper activité désordonnée, démagogie, culpabilité diffuse…

Mon métier est un métier de rencontres, de relation, de prise en compte de la personne et de la société et de ses lois, de leurs effets.

Le cadre de l’exercice de mes missions est la réinsertion et la prévention de la récidive (Code de Procédure Pénale).

Il s’agit bien de la prévention de TOUTES les récidives, y compris terroristes donc.

Le terrorisme, certes, n’est pas un crime comme un autre.

Le viol, le meurtre, les actes de tortures et de barbaries, ne sont pas non plus des crimes comme un autre.

AUCUN crime n’est comme un autre, son auteur, sa victime, non plus ne sont pas auteur et/ou victime comme un autre. Ils ont a être considérés, un par un, dans leur histoire, leur contexte, avec ce qu’est cet acte pour chacun, ce qui y a mené, ce qui a dépassé, débordé, quels effets cela a, quelle construction est possible/impossible.

On m’explique aujourd’hui qu’il faut prendre en charge les personnes « radicalisées » ou en voie de l’être, ou susceptibles de le devenir (mais ne le sommes nous pas tous?), en faisant de l’évaluation et en agissant en interdisciplinarité…

Et je me sens profondément insulté-e professionnellement.

Face à cette injonction j’hésite entre le rire et la colère: n’ai je pas, de fait, de par mes missions, cette injonction pour TOUTES les personnes prises en charge ? Je devrais avoir les moyens de le faire pour TOUTES les personnes placées sous main de justice dont j’ai le suivi.

Aujourd’hui, face au désastre, aux déficiences, à l’indigence des services publics (donc d’un lien social) entretenus depuis des années, on me somme de trier qui pourra « bénéficier » d’un suivi, stigmatisant ainsi un peu plus ceux qui en bénéficieront mais aussi ceux qui en seront exclus.

Que faut il faire ? Je ne sais pas, mais il est probable qu’il soit essentiel de douter, de penser, de questionner, c’est cela qui soutient mon engagement : un espace de réflexions, d’échanges, pour pouvoir prendre le risque de penser, de se tromper, de voir sa pensée remise en cause.

Face à l’effroi et à l’horreur, il ne faut pas accepter de cesser de penser.

Face à une administration qui ne tolère aucune remise en cause, aucun questionnement, il faut continuer de penser.

Cela suppose aussi qu’il faut s’exprimer : pas de pensée sans parole.

Et la parole, c’est aussi un risque nécessaire, un besoin pour être vivant, un risque qui n’est pas un choix mais qui est reçu en même temps que la vie.

Aujourd’hui, dans cette ambiance, toutes ces directives et injonctions, malgré ma vigilance et celles de nombreux autres, ont des conséquences très nettes sur ma façon d’envisager mon travail. En même temps, notre vigilance a des effets sur cette ambiance, ces injonctions …

Alors il me paraît essentiel de continuer à exercer cette vigilance et cette réflexion individuellement ET collectivement.

La seule vraie parcelle de pouvoir que l’on a c’est de refuser que l’on m’empêche de penser, c’est du boulot, ça ne se fait pas tout(e) seul(e), et sur ce point là bien précis, je lâche rien…

Premiers signataires:

Mylène Palisse, Catherine Jolis, Guillaume Cally, Jean-Damien Del-Papa, Sarah Silva-Descas, Marion Bonneaud, David Justal, Laurence Boulevart, Kelly Bianco, Julien Magnier, Christian Gaumont, Amandine Chatelain, Pascal Caridroit, Cyril Curie, Aurore Espérance, Delphine Colin, Fabienne Titet, Morgan Labey, Sabine Garrot, Eglantine Bourgognon, Pierre-Yves Lapresle, Sabrina Alexander, Laure Couturier, Dorothée Dorléacq, Pierre Goubet, Alain Corre, Agathe Legros, Aymeric Langlade, Natacha Buffo, Yoon Estienne, Julien Dumas, Nicolas Guillotte, Bérangère Montet, Paul Pelegrin, Fabrice Dorions, Damien Goursaud, Laurent Giangreco, Flore Dionisio, Myriam Lecarpentier, Morgane Leroux, Fabrice Pujos, Noémie Decarpigny, Farid Achouchi, Caroline Reynaud, Mahaut Guibert, Ergan Bicer, Julie Collet, Alexandra Hallary, Kessy Carre, Vanessa Fonteneau, Gilles Benzoni, Nadia Perillaud, Tarik Doumene, Caroline Leray, Véronique Didier, Samuel Azé