SAS de POITIERS : Une coquille pleine…mais pourrie… et vide de sens ?

C’est ce qu’on pourrait croire…c’est même ce qu’on peut craindre…à la lecture du quotidien Centre Presse du 08/11/2022, dans un article consacré à la Structure d’Accompagnement à la Sortie (SAS) de l’établissement pénitentiaire historique de POITIERS, dit «de la Pierre Levée ».


Comment ? Une avocate à la barre demande à ce que son client – auteur récidiviste de violence conjugale- n’aille pas dans cet endroit, pourtant conçu pour la réinsertion des personnes détenues ?!
Pire, elle qualifie cet endroit de « colonie de vacances » ou la débauche et le « relâchement » (alcool et stupéfiants) régneraient en maître !


Et si nous éclairions quelque peu les magistrats du Tribunal Judiciaire de POITIERS, qui affectent désormais directement les condamnés dans cet endroit de perdition… sur la réalité qui a présidé à la mise à flots d’un navire qui –comme le suggère l’article- prendrait désormais l’eau de toutes parts ?

Petit retour en arrière :
Ouverte officiellement en 2020 mais déjà fonctionnelle depuis deux ans auparavant sous la forme d’un Quartier pour Peine Aménagée (QPA), nous avions alerté au plus tôt l’administration locale, régionale et nationale sur deux problèmes majeurs de la SAS, qui n’ont toujours pas été résolus à ce jour :

  • Le mode de recrutement et le choix/profil des détenus à affecter à la SAS
  • L’insuffisance de moyens en ressources humaines pour accompagner au plus près et de façon efficace les personnes concernées, vers un parcours individualisé de réinsertion post-carcérale.

Une SAS doit donner les moyens aux détenus qui y résident, de préparer au mieux la vie qui les attend après la détention.
Un effort particulier doit donc être mis sur les recherches de logement, de travail, de formation professionnelle, de soins pour ceux qui le nécessitent, etc.
Pour ce faire, le panel juridique permet d’accorder des permissions de sortir chaque jour et/ou semaine aux personnes concernées.

Ces personnes affectées à la SAS doivent rentrer dans les exigences juridiques légales de délai de fin de peine restant à purger, de comportement (particulièrement s’ils sont détenus antérieurement), de motivation et d’estimation de faisabilité d’un projet qui devra se faire prioritairement dans la VIENNE, où se trouvent les structures d’accompagnement social de proximité.

Premier écueil : la très grande majorité des détenus du CENTRE PENITENTIAIRE de VIVONNE (+ de 700 détenus à ce jour et « vivier » de proximité de la SAS de POITIERS), n’est pas originaire de la VIENNE -mais de toute la France-et ne compte pas s’y installer à la sortie.
Le nombre restant de personnes pouvant candidater à une affectation à la SAS et répondant aux critères sérieux d’affectation est donc très restreint.
Alors comment faire ?
Aller « recruter » dans d’autres départements ?
Très à la marge et compliqué, pour des raisons identiques.
L’administration pénitentiaire Régionale et Centrale, qui n’ignorent rien de cette difficulté majeure (tant elles ont été averties à tous les étages de la fusée…) a longtemps mis la poussière sous le tapis, en acceptant bon gré mal gré que la SAS soit remplie d’un faible nombre de détenus, pour une capacité maximale pouvant aller jusqu’à 70 personnes.
On a ainsi vu pendant des mois, en moyenne, entre 10 et 20 personnes affectées dans un quartier pénitentiaire se voulant être une des vitrines de la réinsertion régionale…
Las, bon nombre des détenus sont cependant repartis vers VIVONNE avant la fin de peine, par manque de motivation et/ou pour des profils aux comportements inadaptés…
Et puis, l’administration a estimé que ça avait assez duré ; qu’il fallait rentabiliser la structure !
En clair, qu’il fallait remplir coûte que coûte, des « chambres » qui restaient bien trop inoccupées et ordre a été donné de « recruter » en masse !
La pression a donc été mise par la Direction Inter-régionale de BORDEAUX, sur les « recruteurs » (SPIP et établissements Pénitentiaires), menaçant de prendre la main, en opérant elle-même les recrutements…si 90% de la structure n’était pas remplie à la mi-décembre 2022 !
On a donc assisté à une remontée sensible des effectifs, avec le risque d’échecs accrus dans un parcours déjà souvent antérieurement chaotique des personnes condamnées.
Et -phénomène intrinsèque à toutes les prisons de France- plus vous concentrez des personnes en difficultés sur un périmètre réduit, plus vous augmentez le risque d’accroître les secondes et le risque d’échec des premières!
CQFD !
Ajoutez à cela l’insuffisance de moyens et vous aurez tout le loisir de comprendre où on en est à ce jour.
Exemple, pour le seul Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP) qui- depuis le début de l’aventure SAS- doit faire avec les moyens du bord :

La CGT Insertion Probation, mais aussi les directeurs du SPIP qui se sont succédés, ont eu beau réclamer à corps et à cris les moyens adéquats, la seule réponse de l’administration a été de se « servir sur la bête » !
En clair, 3 conseillers d’insertion et de probation dans un premier temps et à présent 2… ont été pris sur l’effectif du « milieu ouvert », pour être affectés sur le « milieu fermé » de la SAS !
Déshabiller Pierre pour habiller Paul, c’est bien connu, fait certes réaliser des économies… mais n’est pas digne d’un service public à la hauteur des enjeux et des exigences d’une administration qui demande par ailleurs toujours plus d’efficacité et de performance de la part de ses agents !
L’ignominie a été poussée à son comble cette année, où l’administration a ouvert plusieurs SAS sur tout le territoire, les dotant de moyens RH Ad Hoc et a considéré que la SAS de POITIERS était déjà dotée du nombre d’agents suffisant !
Quel mépris !
Ces agents en sont réduits à s’épuiser sur un nombre très conséquent de tâches administratives (rapports aux magistrats, modifications horaires des sorties des détenus, etc.) au détriment des entretiens socio-éducatifs et du suivi effectif des personnes à accompagner !
Un comble, pour un lieu qui se veut un modèle de suivi et d’individualisation de la peine !
Qu’il soit bien clair que dans un tel contexte, où la SAS est plus considérée comme un espace de désencombrement des autres établissements (déjà pleins à craquer) que comme un lieu se dotant de moyens favorisant REELLEMENT l’insertion, on ne fera pas de miracles.
Et qu’on ne vienne pas à présent s’étonner avec des pudeurs de gazelle… de dérapages constatés çà et là, à coup d’alcool, de cannabis ou autres moyens… qui font tâche dans un tableau vendu de façon hypocrite, par une administration qui détourne le regard de la réalité que vivent personnels et détenus !
Alors mesdames et messieurs les magistrat.e. s (qui n’êtes guère mieux loti.e.s que nous en terme de ressources et de moyens …) : Réfléchissez à deux fois avant de prononcer des condamnations/affectations directes à la SAS !
Nous savons que vous n’avez que peu ou pas les moyens suffisants d’investiguer avant de prendre vos décisions, particulièrement dans les audiences de comparution immédiate.
Mais voilà, si ne vous saviez pas jusqu’alors, à présent vous savez !


Alors, à bon entendeur…


LA CGT SPIP 86