radicalisation en prison TRIBUNE du Collectif CGT insertion probation

Libérer la parole des détenus et des personnels
Les récents événements tragiques obligent à un temps de réflexion et à une prise de recul, seuls remparts contre les dérives et les amalgames inquiétants. Ces attentats, qui ont gravement porté atteinte à notre démocratie, ne doivent pas conduire à une remise en question des libertés fondamentales.
La CGT insertion ­probation, représentant les personnels des services qui assurent le suivi socio-éducatif des condamnés, exprime son inquiétude au vu des débats actuels sur la radicalisation en prison.

La radicalisation n’est pas un phénomène propre au milieu carcéral, mais un processus existant avant et après la prison. S’il s’agit de penser ce en quoi la prison peut le favoriser, il convient de s’interroger au-delà sur ce phénomène sociétal.
La prison est le lieu de toutes les radicalités envers les détenus : dans son objectif d’évincement de la société et en ce qu’elle ne permet pas actuellement d’offrir une porte de sortie aux personnes les plus en difficulté. Les conditions de détention précaires, la violence, le sentiment de rejet de la société poussent certains à entrer dans des logiques diverses de radicalisation. Une fois de plus, la lumière est mise sur l’état de délabrement des prisons : surpopulation, sous-effectif chronique des personnels, charges de travail intenables, inactivité des détenus. Pour la CGT, il est impératif d’y mettre plus d’éducation, de culture, de formation professionnelle, d’emploi, de soins et de renforcer tous les effectifs.
Il est primordial de libérer la parole des détenus et des personnels pénitentiaires, d’ouvrir la prison vers l’extérieur au lieu de vouloir la refermer encore davantage sur elle-même. La prison est une des formes d’exécution des peines, elle ne doit pas être la seule ni marquer l’absence de perspective de retour à la vie sociale. La récente réforme pénale va dans ce sens et ne doit pas être remise en cause car elle a le mérite de positionner la prison autrement en interrogeant son utilité.
Les mesures annoncées relèvent plus de réactions sécuritaires que d’une réflexion de fond. Si le repérage des détenus en voie de radicalisation est important, leur regroupement dans des quartiers spécifiques nous laisse dubitatifs : l’absence de recul sur l’expérimentation menée à Fresnes ne permet pas de percevoir l’ensemble des enjeux d’une telle décision. Par ailleurs, gardons-nous d’une suspicion généralisée et d’amalgames entre la religion musulmane et sa dérive sectaire, voire le terrorisme, car ceux-ci sont de nature à alimenter une stigmatisation déjà présente des détenus de culture ou de confession musulmane. Au contraire, il appartient à l’État de refonder la notion de laïcité dans les prisons, ainsi que de s’assurer que chacun puisse pratiquer librement sa religion. La religion musulmane souffre d’un manque d’aumôniers en détention. Leur augmentation est indispensable afin de ne pas accentuer un sentiment d’injustice et de ne pas laisser la place aux dérives extrémistes.
Enfin, la question est posée du rôle de chacun, et notamment du nôtre. Le travail social ne peut être utilisé comme une source de ­renseignements. Si nous effectuons déjà des signalements ponctuels si nécessaire, dans le cadre d’une éthique professionnelle, notre intervention n’a pas pour finalité de repérer et de surveiller. Elle consiste à offrir d’autres perspectives aux détenus que l’entrée dans ces logiques radicales. La mise en place d’une relation de confiance avec la personne prise en charge est essentielle à notre travail et n’est pas compatible avec une telle dénaturation de celui-ci. Aujourd’hui, la citoyenneté engage chacun à réfléchir, à combattre toutes les formes d’extrémisme et de radicalité, à résister au repli sur soi et à répondre par davantage de libertés et de démocratie contre les atteintes à celles-ci.
Sarah SILVA-DESCAS secrétaire nationale du Collectif CGT insertion probation
Paru dans l’Humanité le 29 janvier 2015 (dossier Débats et Controverses) Comment combattre les processus de radicalisation en prison ?
Ainsi que l’ensemble du débat sur ce thème – documents imprimables :