LA LOI RENSEIGNEMENT AU SÉNAT : ETRE A L’ECOUTE OU METTRE SUR ECOUTE ?

Ce jour, débutent   les débats au Sénat concernant la loi sur le renseignement pour un vote solennel le 9 juin. La CGT insertion probation est largement impliquée dans la mobilisation contre ce projet de loi liberticide et est partie prenante des actions qui sont initiées de façon unitaire sur ce sujet. Nous sommes toutes et tous concerné(e)s à différents niveaux et ne devons pas nous laisser endormir.

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Aux lendemains des attentats de janvier, la CGT insertion probation rappelait la nécessité de défendre coûte que coûte la liberté d’expression et de réaffirmer haut et fort les valeurs humanistes qui constituent le socle de notre société. Nous alertions sur les dérives sécuritaires qui pouvaient suivre et sur l’utilisation des peurs des citoyens pour justifier toujours plus de sécurité, toujours plus d’atteinte aux libertés fondamentales.

LA LOI SUR LE RENSEIGNEMENT : DES CHOIX POLITIQUES LARGEMENT CONTESTABLES 

Très rapidement, nos craintes ont été malheureusement confortées. Un plan de lutte contre le terrorisme a été adopté avec des moyens financiers conséquents et une priorité dégagée pour la Défense, l’Intérieur et la Justice. Ces financements et choix politiques consacrent une vision sécuritaire qui se fait sur le dos de la bête, les politiques d’austérité n’étant aucunement remises en cause. En effet, ces budgets viendront grever ceux de l’Etat qui doit toujours économiser plus de 50 milliards d’euros. Alors qu’il est urgent de redonner toute leur place à des politiques publiques réduisant les inégalités sociales et recréant du lien social, le choix est toujours celui de la casse du service public.

Ce que la gauche dénonçait à l’époque de Sarkozy est aujourd’hui sans complexe assumé par le gouvernement Valls : réduire des libertés fondamentales serait une voie inéluctable acceptée par une majorité de citoyens. Comme sous la droite, les sondages sont utilisés pour asseoir une politique. Celui du CSA du 13 avril dernier indique que 63% des français acceptent de réduire leurs libertés individuelles en échange d’une meilleure protection face aux menaces terroristes. Une question posée comme telle est forcément tronquée. D’autant que le champ de la loi sur le renseignement va bien au-delà de la prévention du terrorisme et que la majeure partie des personnes interrogées ne connaissait pas le contenu de ce projet de loi et ne savait pas de quoi il s’agissait en réalité.

Surfant sur l’ignorance, sur le sentiment répandu que ces sujets sont très complexes et ardus, ce texte est porté par le gouvernement dans la précipitation, réduisant le débat démocratique à une procédure accélérée dans un hémicycle quasiment vide. Les rangs du Sénat seront-ils plus garnis que ceux de l’assemblée nationale ? Nous verrons ce qu’il en sera durant les 3 jours qui viennent.

Quelles atteintes à nos libertés en tant que citoyennes et citoyens ?

La loi sur le renseignement permet une surveillance de masse de la population à l’aide de moyens technologiques qui fonctionnent tels des filets de pêche en ratissant très large. Mais pour quelle efficacité en réalité et à quel prix pour nos libertés fondamentales?

Notre société évolue et les nouvelles technologies prennent beaucoup de place dans nos vies. Nos échanges personnels via internet ou les téléphones portables vont des plus banals et quotidiens aux plus intimes. Ces modes de communication font de plus en plus partie de nos espaces de liberté et de vie privée.

La loi telle qu’elle est envisagée prévoit des domaines très étendus et parfois bien flous pour encadrer les missions des services de renseignement rendant le champ des possible très large. A ce titre, sms, emails, consultations internet, conversations téléphoniques peuvent être surveillées. Caméras cachées et micros peuvent être installés dans des lieux privés.

Plus encore que le contenu des échanges, ce sont les données de connexion qui peuvent ainsi être communiquées par les fournisseurs d’accès. Ces informations et la géolocalisation en disent bien plus que le contenu des messages : qui ? quand ? où ? à qui ? comment ? Le gouvernement nous leurre quand il parle de collecte de données « anonymes ».

En tant que militants, nous sommes également très inquiets sur les possibilités de surveillance des mouvements sociaux et syndicaux que cette loi permet. Cette liberté de se réunir, de manifester, d’exprimer son mécontentement, d’établir des rapports de force contre des politiques que nous rejetons sont des libertés collectives auxquelles nous ne devons absolument pas renoncer. Qu’en sera-t-il si les militants, les manifestants peuvent faire l’objet de ce type de surveillance ?

Est-ce bien de cette société dont nous voulons ? Celle de la surveillance généralisée. « Big bother is watching you » n’est pas bien loin à ce rythme.

Avec cette loi le principe du respect des libertés fondamentales devient l’exception et la surveillance la règle.

Il est prévu que l’exécutif soit le seul réel décisionnaire et ce entre les mains du premier ministre, sous le contrôle d’une commission, autorité indépendante avec bien peu de pouvoir, voire aucun : le texte de loi indique en effet qu’elle « veille », fait des « observations », « saisi[t] le 1er ministre d’une recommandation tendant à ce que la mise en œuvre d’une technique soit interrompue » – bref, rien n’est réellement contraignant. D’ailleurs d’autres autorités indépendantes se sont exprimées pour dénoncer ce projet de loi (CNCDH, CGLPL, défenseur des droits…) qui n’ont pas fait changer le gouvernement de cap : autorités indépendantes sans autorité en quelque sorte !

Quelles dérives sécuritaires dans l’administration pénitentiaire ?

Ces mêmes autorités ont pointé un aspect du projet de loi voté à l’assemblée nationale le 5 mai qui concerne notre champ professionnel, celui de la Justice. Sur ce point les sénateurs de la commission des lois semblent être plus mesurés et plus attentifs à nos argumentaires que les députés. En effet, tel que l’assemblée nationale le prévoit, il est envisagé la possibilité pour la Justice d’utiliser les mêmes techniques de renseignement et pour les mêmes domaines que ceux qui encadrent les missions de services tels la DGSE ou la DGSI et faire entrer l’administration pénitentiaire dans la communauté du renseignement.

Le renseignement pénitentiaire exerce son activité jusqu’à présent dans le cadre des missions de sécurité des établissements. Donner à ce service des prérogatives des services de renseignement comporterait de nombreuses menaces pour nos missions de service public, le sens de nos interventions, notre relation au public et constituerait une atteinte totalement disproportionnée aux droits de personnes détenues et suivies par les services pénitentiaires d’insertion et de probation en milieu ouvert également.

En prison, le contrôle des correspondances, les conversations téléphoniques enregistrées, les fouilles de cellules et des personnes font partie des règles du jeu. Davantage d’intrusion ne peut se justifier. D’autre part, le maintien des liens familiaux et la réinsertion nécessiteraient   l’utilisation des moyens de communication modernes (de façon encadrée). Aujourd’hui, rechercher un emploi, effectuer des démarches administratives, bénéficier d’un enseignement par correspondance, comment le faire sans avoir accès à internet ? La prison doit s’adapter à ces évolutions et ne doit pas revenir en arrière sur les droits des personnes. Dans son dernier rapport, la contrôleure des lieux privatifs de liberté rappelle que la privation de liberté consiste en la seule privation de liberté et ne doit pas enlever à la personne toute capacité d’initiative. Elle réaffirme la nécessité de redonner de l’autonomie aux personnes privées de liberté et l’accès à internet, outil d’accès à l’information aujourd’hui incontournable, serait un levier intéressant pour un meilleur accès à l’information et aux droits.

Les personnels et leurs organisations syndicales s’interrogent sur les conséquences d’une telle loi sur leur rôle auprès des publics et leurs conditions d’exercice s’ils sont perçus par les publics comme des potentiels « espions ».

CONCERNANT LES PERSONNELS D’INSERTION ET DE PROBATION

Moins évident à première vue, les personnels des services pénitentiaires d’insertion et de probation qui exercent aussi bien en milieu fermé qu’en milieu ouvert sont également concernés par cette dérive.

Les travailleurs sociaux pénitentiaires sont écartelés entre deux injonctions paradoxales. Alors que d’un côté sont mises en avant les notions de réinsertion, de travail social et de relation positive, s’instillent de façon insidieuse des logiques de renseignement et de suspicion envers les publics. « Etre à l’écoute » ou « mettre sur écoute » ces deux dimensions sont incompatibles !

Sous couvert de prévention de la radicalisation, les dérives sécuritaires dans les SPIP ne sont plus que de simples craintes. Phénomène surdimensionné, la radicalisation deviendrait une priorité et des recrutements ont été très rapidement engagés mais pour quoi faire ?

Il faut donner du contenu à ces emplois tombés du ciel (483 sur trois ans pour la seule administration pénitentiaire, emplois qui s’additionnent aux 1000 emplois dans les SPIP), du coup l’administration est prête à faire tout et n’importe quoi.

En septembre, une quinzaine de conseillers d’insertion et de probation rejoindront les bureaux de renseignement des directions interrégionales. L’intitulé du poste parle de lui-même « délégué interrégional au renseignement pénitentiaire missionné sur la lutte contre la radicalisation et les liens avec les SPIP ». L’administration en rêvait déjà en 2014 et avait publié un poste en administration centrale, le plan de radicalisation a fait de ce vœu une réalité sur tout le territoire. L’administration pense peut-être utiliser les compétences relationnelles et d’animation de réseau partenarial des conseillers d’insertion et de probation (comme indiqué dans la fiche de poste)   mais surtout obtenir plus facilement des renseignements des professionnels des SPIP en intégrant un ou plusieurs de leurs pairs dans le renseignement pénitentiaire. Cela ne peut que dénaturer les missions du CPIP et brouiller les pistes en termes de secret et déontologie professionnels. La loi sur le renseignement, si elle prévoit d’intégrer ces services dans la communauté du renseignement et d’ainsi leur donner des prérogatives (domaines et techniques) totalement disproportionnées, ne pourra qu’intensifier ce phénomène de confusion des genres. Pour la CGT, il est clair que des travailleurs sociaux ne peuvent être des agents de renseignement !

RECRUTEMENT DE NON-TITULAIRES

Dans les SPIP eux-mêmes, des recrutements d’agents non titulaires ont été lancés la semaine dernière, à savoir des postes de psychologues qui constitueraient des binômes de soutien « psychologues –éducateurs ». Ces psychologues seraient chargés de détecter des personnes en voie de radicalisation, et d’aider à la construction de programmes de prises en charge. Ces psychologues seront recrutés puis remplacés par des professionnels titulaires quand le statut ministériel de psychologues aura vu le jour. Lors du dernier Comité technique Ministériel qui s’est tenu le 29 mai dernier, il a été acté qu’un groupe de travail se mettait en place avec les organisations syndicales représentatives et que ce statut ne verrait pas le jour avant 2016. Par ailleurs, la fonction publique a annoncé la prorogation de 2 ans supplémentaires pour la résorption de l’emploi précaire  mais avec les mêmes conditions d’éligibilité au dispositif loi Sauvadet. Les psychologues recrutés dans le cadre du plan de lutte contre la radicalisation ne pourront donc pas bénéficier d’une titularisation. Ce recours aux emplois précaires est inacceptable !

Des éducateurs non titulaires devraient également être recrutés pour ces binômes. Quelle blague ! Pour rappel historique, nos services sont composés originellement d’assistants sociaux et d’éducateurs. Le changement de dénomination d’éducateur en conseiller d’insertion et de probation et l’intégration massive d’ASS dans le corps de CIP ne nous font pas oublier d’où vient notre profession, ni la dimension socio-éducative de nos missions d’ailleurs rappelée dans le statut de CPIP. Le recrutement d’éducateurs dans un cadre de précarité et uniquement au titre de la prévention de la radicalisation nous apparaît une véritable hérésie.

Enfin, le plan prévoit 84 postes supplémentaires de CPIP pour les prises en charge de condamnés radicalisés, en plus du recrutement 2015 initial. Comment vont se répartir ces postes ? Cela ouvre-t-il la voie à des postes spécialisés sur la radicalisation ? Ces postes vont-ils être répartis sur les SPIP qui interviennent dans les établissements où des quartiers dédiés aux personnes radicalisés sont ouverts (à l’image de l’expérimentation de Fresnes pour laquelle la CGT émettait déjà de grandes réserves) ?

Comme par hasard, ces sites sont les plus en difficulté en raison du système de pré affectation des CPIP. L’exemple de Fleury où l’équipe du SPIP sera à 50% composée de stagiaires pré affectés et où les expérimentations en cours sur la question de la prévention de la radicalisation seront imposées à ces jeunes professionnels, ne peut que fortement nous interpeler.

Nous rappelons que l’urgence n’est pas au tout sécuritaire, à la surveillance et à la suspicion généralisée. Réaffirmons nos valeurs et les libertés fondamentales.

Mobilisons-nous encore et toujours contre ces lois liberticides. Un rassemblement aura lieu à Paris Place de la République le 8 juin 2015 à 18 heures à la veille du vote de la loi sur le renseignement par le Sénat.

La CGT insertion probation appelle tous les personnels à nous rejoindre et à poursuivre les interpellations des sénateurs.