PROJET DE REFORME PENALE : Une référence à la prison omniprésente et beaucoup d’incertitudes sur la place accordée à la probation

Communiqué réforme pénale CGT IP 23-4-18

Réunis en congrès national du 26 au 29 mars dernier, les délégués représentant l’ensemble des syndicats locaux et composant la CGT Insertion Probation ont consacré un débat à l’analyse du discours et du projet de réforme pénale porté par le gouvernement Macron.
Jamais un président n’avait autant parlé des SPIP, ne s’était déplacé à l’ENAP et n’avait aussi explicitement dénoncé l’inutilité des courtes peines…
Et pourtant les évolutions législatives envisagées au sein du titre V du projet de loi « renforcer l’efficacité et le sens de la peine » sont loin d’apporter des évolutions progressistes.
Avant de détailler les mesures directement liées avec l’activité du SPIP, un regard global sur les réformes envisagées en matière de justice est indispensable. Ressources humaines et moyens financiers toujours indigents, délégation de la justice civile, fusion des TI et TGI – remettant ainsi en cause la justice de proximité, création du tribunal correctionnel départemental – suppléant les cours d’assises et abandonnant le jury populaire, absence de réflexion sur les procédures de jugement qui sont fondées sur la gestion de flux au détriment d’un jugement humain…
La vision macronnienne de la justice n’est au fond pas différente des réformes en cours dans d’autres secteurs d’activité : un néolibéralisme mené tambour battant ! Aux oubliettes l’idée d’une justice sereine, en capacité d’étudier chaque procédure, de prendre le temps avec les justiciables, qu’ils soient victime ou auteur !
L’efficacité est ici la maître mot, mais à bien y regarder le terme « précipitation » semblerait plus adapté. Précipitation tant dans les modalités de construction du projet de loi que dans les solutions envisagées. La préparation du projet s’est totalement affranchie d’un réel débat avec les organisations professionnelles et le débat parlementaire pourra d’ailleurs connaître le même sort puisque, est prévue, comme à son habitude, la possibilité pour le gouvernement de légiférer par voie d’ordonnance… Précipitation enfin dans les solutions envisagées puisqu’elles ne visent aucunement à donner au service public de la justice les moyens d’assumer son rôle !
Autant d’éléments qui expliquent que le monde de la justice soit en cours de mobilisation contre ces projets de textes.
En ce qui concerne plus particulièrement l’activité de nos services, l’essentiel des évolutions législatives envisagées se trouve au sein du titre V du projet de loi intitulé « renforcer l’efficacité et le sens de la peine ».
Dans son discours à l’ENAP, M. Macron assurait vouloir se démarquer du débat qu’il qualifiait de caricatural entre les tenants du laxisme et ceux de la réponse du tout carcéral. L’objectif affiché était de chercher à améliorer l’efficacité du prononcé et de l’exécution de la peine afin d’en favoriser son sens : pour la victime, l’auteur et la société. Le décorticage du discours, mais également sa transcription dans le projet de loi de programmation pour la justice 2018/2022, sont loin de s’inscrire dans un tel modèle progressiste et d’apporter une quelconque efficacité.

Prononcé des peines : une vision conservatrice et ancrée dans la référence carcérale.
Si le discours adopté sur la prison se veut réaliste et critique, notamment en ce qui concerne le prononcé de courtes peines et la réalité des conditions de détention, la vision macronienne sur la question du prononcé des peines ne s’extrait en rien de la référence carcérale, au contraire, cette dernière est omniprésente.
La nouvelle échelle des peines envisagées fait la part belle à l’emprisonnement : suspension de la peine autonome de contrainte pénale ; création d’une peine autonome intitulée « Détention à Domicile sous Surveillance Electronique » (DDSE), marquant ainsi officiellement l’exportation des logiques d’incarcération en dehors des établissements et dont la réalité de l’autonomie est tout relative. Cette peine s’appliquera sur décision de la juridiction, pour les personnes condamnées à un emprisonnement allant de 15j à 1 an. Elle implique le respect d’horaires d’assignation et pourra éventuellement s’accompagner de mesures d’aide. On parle donc bien de prison à la maison et d’un simple contrôle horaire sans accompagnement social systématique par le SPIP.
Bien que placée en 2ème position dans l’échelle des peines, le projet de loi fait primer le prononcé de la DDSE sur celui de l’aménagement de peine ab initio. Il n’est pas inutile ici de rappeler que la CGT insertion probation a toujours dénoncé le lobby qui voulait faire du placement sous surveillance électronique LE meilleur aménagement de peine, au détriment
d’autres, tels que le placement à l’extérieur ou la semi-liberté.
Remise en cause du 723-15 et fin de la possibilité d’aménagement ab-initio des peines supérieures à 1 an, qui confirme l’importante place accordée à l’emprisonnement. De même, si les peines d’emprisonnement de moins d’un mois sont proscrites, rien ne sanctuarise le prononcé d’un aménagement pour les peines inférieures à 1 an. Celles de 2 à 6 mois doivent être aménagées – sauf impossibilité résultant de la personnalité ou la situation matérielle du condamné. Celles de 6 à 12 mois doivent l’être – mais toujours si la personnalité ou la situation matérielle du condamné le permettent… Autrement dit rien ne contraint les juridictions à les prononcer !
Par ailleurs, même en cas d’aménagement, celui-ci ne pourra désormais prendre la forme que d’une mesure sous écrou : les possibilité d’aménagement des peines de moins de 6 mois en S.TIG (devenu ici Sursis Probatoire avec obligation d’exécuter un TIG) ou en jours amende étant supprimées dans le projet de loi.

Travail d’Intérêt Général : l’inacceptable ouverture aux entreprises.
Le TIG, en plus de rester une peine autonome, devient également une obligation pouvant être assortie à l’exécution d’un sursis probatoire. Si le rapport récent sur le travail d’intérêt général avait fait craindre une augmentation inadaptée du volume horaire de TIG pouvant être prononcé, rien n’est inscrit en ce sens dans le projet de loi. Cet écueil paraît donc pour l’heure évité, mais le projet de loi en contient un autre de taille : l’ouverture d’un accueil des TIGistes par des entreprises à but lucratif. Ce choix législatif ne cessera d’être dénoncé par la CGT insertion Probation qui s’insurge contre cette disposition car elle remet profondément en cause le sens de cette peine. En Effet, le TIG vise la réparation du dommage causé par l’infraction à la société, il doit servir l’intérêt général et non pas l’intérêt privé d’entreprises à qui l’on proposerait une main d’œuvre gratuite ! Une telle marchandisation de la peine est inacceptable !!!

Malgré les références constantes à l’emprisonnement, le milieu fermé reste le grand absent de ce projet de loi.
Là encore, le discours présidentiel se voulait moderne et avait mis l’accent sur la réalité des conditions d’incarcération et la nécessité d’assurer la dignité des personnes détenues. Les références au droit du travail pour le travail pénitentiaire et l’amélioration du dispositif pour permettre aux personnes détenues de voter évoquée à l’ENAP ne trouvent pourtant aucune transcription réelle dans le projet de loi.
Le projet de loi se distingue par l’absence totale de réflexion sur la prise en charge et la préparation à la sortie des personnes détenues.
Seule la suppression du passage devant la CPMS pour les demandes de LC des longues peines est un petit pas venant favoriser l’aboutissement des procédures d’aménagement de peine. Cependant, le passage en CNE continuera de freiner tant les demandes que l’aboutissement de projets d’aménagement de peine construits. La notion (non scientifique) de « dangerosité » prime ainsi toujours sur la réinsertion des personnes prises en charge, la réinsertion étant pourtant le principal facteur de prévention de la récidive.
Le texte de loi prévoit, en outre, de renforcer ce qui existe déjà et qui globalement ne fonctionne pas : la libération sous contrainte ! Le principe serait désormais un octroi systématique de la LSC avec nécessité d’en motiver le rejet.
La réalité est qu’à l’heure actuelle, si l’étude est systématique, la procédure de LSC n’aboutit que rarement, ce constat risque de perdurer tant les motifs de rejet restent larges. Faute de moyens humains et financiers donnés au CPIP pour préparer les sorties et développer des partenariats associatifs avec hébergement et accompagnement, la mesure n’aura de systématique que le nom, puisque bon nombre des personnes prises en charge ne pourront pas en bénéficier. Ce constat est d’ailleurs valable de manière générale tant en milieu ouvert qu’en milieu fermé.
Le dernier point en détention concerne le renouvellement de permission de sortie qui, après un 1er accord en CAP, pourrait être accordé par un directeur d’établissement. La CGT le réaffirme, il est dangereux de substituer le judiciaire par l’administratif et met en garde sur un détournement de ce pouvoir au bénéfice de logiques de gestions de la détention qui sont trop souvent éloignées de celle d’un parcours d’insertion !

Retour au pré-sentenciel et exécution des peines : un flou absolu.
Le principe serait désormais d’aménager ou non directement à la barre et pour aider les juridiction à cette prise de décision, plusieurs pistes sont mises en avant.
Premièrement : un élément censé aider les magistrats au prononcé de peines individualisées à la barre : le dossier individuel de personnalité. Évoqué lors du discours à l’ENAP, cet outil n’apparaît cependant pas dans le projet de loi et n’est pas sans susciter de nombreuses interrogations : quel contenu ? à quelles fins ? qui pourra y avoir accès ? pendant combien de temps ?
La CGT insertion probation a toujours été opposée au fichage quel qu’il soit. Les données recueillies dans le cadre du mandat pénal ne doivent pas être accessibles à de multiples personnes. Il en va du respect du secret professionnel et de la déontologie des CPIP, essentiels à l’exercice de leurs missions.
Le retour du SPIP dans le pré-sentenciel : le projet de loi prévoit en effet de replacer le SPIP comme prioritaire dans les saisines pour enquêtes sociales de personnalité avant jugement et en élargit les possibilité de saisie.
L’ajournement du prononcé de la peine semble redonner du sens aux enquêtes sociales en vue d’une réelle individualisation de la peine. Ces enquêtes étant pour le moment réalisées dans l’urgence, sans le temps et les moyens de vérification nécessaires et surtout sans lecture réelle par le parquet. La césure du procès pénal nous semble indispensable pour une réelle individualisation de la peine.
Néanmoins cette option, assimilable dans une certaine mesure à l’ajournement avec mise à l’épreuve, peu utilisée, entre en contradiction avec la volonté d’efficacité (au sens de rapidité) du prononcé des peines voulues par le projet de loi, notamment avec le maintien de la comparution immédiate, étendue aux délits dont la peine encourue est portée à 5 ans !

La CGT insertion probation dénonce ainsi la déconnexion de ces réflexions sur le prononcé des peines avec la réalité des conditions de jugement. Rien dans le texte ne vient régler la question de la comparution immédiate, une procédure qui privilégie la célérité à la qualité et l’individualisation, méprisant les droits des justiciables, procédure indécente qui aboutit à nombre de peines d’emprisonnement ferme, et qui, faute d’être remise en cause et de laisser le temps nécessaire à l’individualisation des peines prononcées, continuera à alimenter les surpopulations carcérale et pénale.
Sur l’aménagement de peine, non mis à exécution par un mandat de dépôt, une incompréhension voire un flou total est repéré dans la loi.
La loi prévoit que les aménagements de peine octroyés à la barre ou après renvoi au JAP pour quelques exceptions (tenant à un éventuel constat de carence dans l’évaluation de la personnalité de l’auteur et de ses situations familiale, sociale et matérielle), le sont sous la forme de la détention à domicile, de la Semi Liberté ou du Placement Extérieur (cf. projets d’articles modifiés 132-25 ; 132-26 du code Pénal, 712-6 et 723-15 du CPP).
Ainsi, il semble que les conversions en Sursis TIG et en jours amendes, seuls aménagements de peine sans écrou, disparaissent, ce qui est très dommageable, tant au niveau de l’évaluation de la situation des personnes qu’à celui de la symbolique bien réelle de tels aménagements.
Pire, le projet de l’article 747-1-1 du CPP contenu dans la loi maintient la possibilité de prononcer une peine de TIG ou des jours amendes en conversion de peine pour les peines inférieures ou égales à 6 mois mais renvoie, pour ce faire, aux articles (712-6 et 723-15) qui modifiés, ne le prévoient plus. Ne parlait-on pas de précipitation dans ce projet… ?
Pour le milieu ouvert, un changement d’envergure est envisagé : le sursis probatoire viendrait remplacer le SME, le Sursis-TIG et la contrainte pénale pour ne faire qu’une seule peine appelée sursis probatoire. Cette peine aurait deux niveaux de prise en charge : un standard et un renforcé.
Même si les modalités de fonctionnement de la contrainte pénale sont fondues dans le sursis probatoire «renforcé», la suppression de la Contrainte Pénale marque (déjà) la fin de la reconnaissance de la probation comme peine réelle et déconnectée de l’incarcération, ce que la CGT insertion probation a toujours revendiqué.
La CGT s’étonne, à l’instar du module respecto en établissement, qui devrait être la norme, que le sursis probatoire contienne deux niveaux : un sursis probatoire dont les obligations seraient fixées par le juge correctionnel et un sursis probatoire renforcé qui comprendrait une évaluation approfondie du passé judiciaire et des situations sociale, familiale et matérielle de la personne pour définir les obligations adaptées et individualisées.
Le sursis probatoire renforcé devrait ainsi être la norme pour que cet accompagnement socio-éducatif ait réellement un sens et pour que le sursis probatoire ne soit pas prononcé systématiquement sans qu’il soit renforcé.
L’exécution d’un TIG deviendrait une obligation prononçable dans le cadre de ce sursis probatoire, comme elle l’est pour le Sursis TIG.

Au final, si le président a mis en avant notre profession et des éléments importants quant à la nécessité de donner de la dignité aux conditions d’incarcération, ni les annonces de renfort en personnel ni le projet de loi ne viennent rassurer nos services quant aux charges de travail à venir. L’implication du pré-sentenciel va représenter une charge de travail énorme qui va absorber très rapidement une grosse partie des renforts promis dans nos services.
Diminuer la charge de travail, renforcer le partenariat des SPIP, créer des organigrammes dans nos services sont des conditions indispensables au bon fonctionnement de nos services. Mais même au delà de ces gages, rien dans ce projet de loi ne nous prémunit d’une nouvelle extension du filet pénal : ces nouvelles peines, plutôt que de s’appliquer aux publics pris actuellement en charge, s’imposeront à de nouveaux publics.

Ces éléments amènent La CGT insertion probation à émettre de grosses réserves sur l’impact de ce projet en matière de sur-population carcérale et donc sur la dignité des conditions d’incarcération…
Il semble d’ailleurs qu’en réalité le gouvernement soit aussi sceptique que nous sur ce point… Le projet législatif prévoit en effet un énième report du moratoire pour l’encellulement individuel dans tous les établissements pénitentiaire…